Secouer son apathie lorsqu’on apprend
Lorsque j’écris ces lignes c’est le funeste anniversaire des attentats du World Trade Center du 11 septembre 2001.
Êtes-vous capable d’utiliser vos souvenirs pour répondre à ces 3 questions :
- Où étiez-vous ce jour-là des attentats ?
- Avec qui vous trouviez-vous ?
- Quel temps faisait-il ?
Facile non ? Certains iront même jusqu’à se rappeler des vêtements qu’ils portaient ce jour ou même d’un plat qu’ils ont mangé.
Pour les plus jeunes qui ne les ont pas vécus, vous pouvez faire le même exercice avec les attentats du 13 novembre 2015 en France (fusillades et attaques-suicides).
Ce ne sont évidemment pas des événements plaisants et cela est pour mettre en lumière que vous avez une excellente mémoire à long terme.
Maintenant posez-vous cette question :
- Que faisiez vous le 11 septembre de l’année dernière ? Et celui de l’année d’avant ?
Vous n’arrivez pas à vous en rappeler ? Pourtant, c’était plus proche dans le temps que 2001 ?
3 critères
Qu’est ce qui fait donc qu’on se rappelle plus des attentats alors ?
La réponse est simple. Notre cerveau mémorise mieux s’il y a la présence de 3 critères :
- Marquant : car la charge émotionnelle de l’événement a laissé une trace indélébile.
- Unique : car il est impossible de confondre cet événement avec un autre. Il sort du commun.
- Répétition : car les images ont tourné en boucle sur tous les moniteurs.
Noradrénaline & valence émotionnelle
Nous avons tous des émotions. Elles sont innées (acquises depuis la naissance) et automatiques (inconscientes). Une étude a d’ailleurs montré que les émotions sont très rapides et précèdent la conscience de leur cause (200 millisecondes). Elles sont ensuite validées ou interrompues à la suite d’un traitement cognitif conscient qui va moduler leur expression.
Les événements chargés en émotions sont plus faciles à retenir que les événements neutres et notre capacité à nous souvenir d’une chose est directement reliée à l’attention qui lui est attribuée. Si par exemple vous ne portez pas d’attention à ce que vous lisez en ce moment, il y a peu de chance que votre cerveau réussisse à mémoriser ces informations.
La charge émotionnelle (ou la valence) d’un événement nous aide donc à soutenir notre attention et à mieux l’enregistrer.
Le neurotransmetteur qui joue un rôle clé dans les émotions est la noradrénaline.
Pour faire simple, avant chaque apprentissage, le contenu émotionnel est vérifié par le cerveau avant d’être enregistré. Le traitement mnésique des événements chargés d’émotions fortes (positives ou négatives) va donc faire intervenir cette fameuse noradrénaline qui sera libérée en plus grande quantité renforçant ainsi certains circuits de la mémoire pour favoriser l’apprentissage.
La noradrénaline agit donc comme la glue de l’information.
Inclure des émotions lorsqu’on apprend
L’équation est donc hypra simple :
- Emotions fortes = souvenir mémorisé avec précision,
- Ennui = pas d’apprentissage.
- 😂😱😭😡🤩 > 🥱😑
C’est précisément pour cela que lorsqu’on apprend avec ennui et passivité notre cerveau divague et ne retient rien. Il vagabonde ailleurs même !
Je vous pose donc la question : Pourquoi n’intégrons nous pas un effet 11 septembre dans nos prises de notes et apprentissages ?
Apprendre avec des émotions est une faculté que tout enfant connait. On le perd à l’âge adulte et il suffit juste de le retrouver.
Le plus important reste de se donner l’autorisation !
Inclure du jeu et des émotions fortes (rires, larmes) va favoriser grandement la retention d’information. C’est d’ailleurs ce que nous apprenons à faire dans ma formation.
Paul Ekman & Robert Plutchik, les deux big boss des émotions
Si vous voulez en savoir plus sur les emotions je vous conseille de vous plonger dans les travaux et les ouvrages de Paul Ekman et Robert Plutchik.
Le premier, est l’un des pionniers dans l’étude des expressions faciales. En recensant et en observant tous les muscles du visage, il a démontré qu’elles ne dépendent pas de notre culture mais qu’elles sont biologiquement déterminées et donc universelles chez l’espèce humaine. La série télévisée Lie to Me s’est d’ailleurs très largement inspirée des travaux d’Ekman et du fait que les « micro-expressions » du visage peuvent facilement être utilisées pour détecter les mensonges.
Concernant leur énumération, Paul Ekman a érigé une base de 6 émotions primaires (plus tard étendue à 16) à partir desquelles d’autres émotions sont dérivées.
Sous cet angle là, ce sont bien les travaux de Robert Plutchik qui me paraissent intéressants. En effet, Robert Plutchik dénombre 8 émotions primaires groupées en 4 pairs d’opposée : Joie-Tristesse, Colère-Peur, Dégout-Confiance et Anticipation-Surprise. Le tout est compilé sous une rosace de 8 éléments appelée la roue des émotions. Repliée sur elle-même, elle forme un cône qui capture la diversité émotionnelle humaine. Les émotions peuvent ainsi faire des combinaisons primaires, secondaires et tertiaires à l’image des couleurs. Voici quelques exemples :
- Peur & Tristesse = Désespoir
- Surprise + Dégout = Horreur
- Colère et Joie = Fierté
- Joie + Confiance = Amour
Emotions automatiques ou volontaires ?
L’idée, vous l’avez compris, est de se servir des émotions pour apprendre car elles peuvent avoir un fort impact sur notre capacité à mémoriser et à rappeler de la connaissance.
Par moment, les émotions sont générées automatiquement par le sujet que nous apprenons. Par exemple, si j’apprends un cours d’histoire sur la Shoah, les émotions telles que la terreur, la colère ou la tristesse me viendront naturellement. A l’inverse, un cours d’astronomie ou de découverte spatiale amènera d’autres émotions telles que la curiosité ou le ravissement. Dans ces cas-là, les émotions aideront grandement à figer l’information dans notre esprit.
En revanche, nombreuses sont les matières et sujets qui ne donnent pas lieu à la génération automatique d’émotions. Pour autant, cela ne veut pas dire qu’elles ne peuvent pas être recherchées et amenées délibérément.
Bien sûr que nous ne ressentons pas en permanence des émotions fortes mais l’idée est d’intervenir sur notre experience émotionnelle de manière volontaire pour créer des humeurs, même légères, afin d’influencer les tâches sur lesquelles nous travaillons.
Prenons par exemple un cours juridique sur le droit des contrats. Plutôt que d’étudier des dizaines de pages dans un climat émotionnel plat, de nombreuses pistes peuvent être imaginées afin de charger son apprentissage d’émotions. Un premier exemple pourrait être de s’imaginer dans un procès sous tension comme on en voit dans les films pendant lequel ont défendrait un client en utilisant les définitions et les concepts fraîchement appris (les émotions utilisées ici pourraient être l’agressivité, l’indignation, etc.). Un autre exemple pourrait être de se projeter dans les locaux d’une multinationale afin de finaliser un entretien de vente pour signer un nouveau client et un gros contrat (utilisation ici de l’envie, l’optimisme, etc.). Procéder ainsi permettra de mieux ancrer la connaissance. Revisiter la scène imaginaire créée de toute pièce le moment voulu pourra d’ailleurs aider au rappel de l’information.
Ramenez les emotions à vous-même !
« Ne pleure pas, l’enfant pauvre d’Afrique n’a pas la chance que tu as ! »
Personnellement, cette phrase de parent me fait doucement rire. Bien sûr qu’on ne se rend pas compte en tant qu’enfant car notre cerveau se base sur les éléments qui nous entourent pour définir son niveau de réaction. Et oui, l’importance de ce qui nous fait réagir dépend de ce qui est commun dans nos vies. Un enfant de bonne famille française ne pleurera pas pour les même raisons qu’un enfant d’un pays en guerre par exemple. L’un sera triste parce qu’il aura cassé son jouet au parc et et l’autre parce qu’il sera séparé violemment de sa famille.
Et bien il en va de même pour les émotions. Le cerveau humain étiquette le monde réel au travers d’émotions qui sont communes dans nos vies. Cet étiquetage est régulièrement mis à jour.
Ce n’est pas parce que votre cousin a vécu pire que vous ne pouvez pas être triste et ce n’est pas parce que vous avez vécu un événement plus joyeux que votre collègue qu’il n’a pas le droit d’être joyeux pour ce qu’il vit.
Ramenez donc toujours les émotions à vous. Rien ne sert de se comparer.
Donnez vous la permission
Plutôt que de réguler vos émotions à tout prix, servez-vous en pour booster vos apprentissages. Ne sous-estimez pas votre intelligence émotionnelle qui est clé à développer. Vous pouvez l’exprimer tant bien sur le plan comportemental que sur le plan du ressenti via des expériences subjectives.
Avant toute chose, donnez vous l’autorisation d’avoir des émotions. Trop souvent nous ne nous donnons pas la permission d’en générer et même pire, nous les désactivons lorsqu’elles apparaissent.
Ne vivez pas comme un robot. Utilisez-les néanmoins de manière constructive sans se laisser submerger. Ressentez-les pleinement sans que ce soit contre-productif.
Le travail de pleine conscience et la méditation peuvent aussi vous aider à observer ce qui se passe en vous et autour de vous en terme de pensée et d’émotion.
Lâchez les chevaux !
Sources “Des nains sur des épaules de géants” : Robert Plutchik / Paul Ekman / Maxwell Maltz (Psycho-Cybernetics) / Eric Kandel