L’ANTIPATHIQUE EMPATHIQUE PARASYMPATHIQUE
On m’appelle le Chevalier Blanc, je vais et je vole au secours d’innocents… Tagada Tsouin Tsouin !
Comprendre et utiliser l’empathie (3/3)
Cet article est le 3ème de cette série sur l’empathie. Voici les deux premiers.
→ (1/3) — Quelle empathie utiliser dans vos relations ?
→ (2/3) — Ne soyez pas sympathique mais empathique.
« Moi, je solutionne ton souci en 5 minutes… » mais bien sûr !
Trouver ce qui ne fonctionne pas dans la vie des autres c’est facile et ça prend 5 minutes montre en main… sans blague ?
Vous dites-vous souvent que si vous étiez à la place de l’autre vous feriez telle ou telle chose ?
Mais avez-vous déjà pensé que si vous étiez réellement à la place de l’autre personne, vraiment dans ses souliers, alors votre perspective changerait du tout au tout ?
En effet, vous seriez alors aux prises avec les émotions de l’autre, ses perceptions, ses réactions, ses préjugés, ses inquiétudes, ses inhibitions, ses instincts, ses ambitions, ses préoccupations… Vous auriez aussi son passé, son présent et son avenir. De plus, vous n’auriez rien de votre personnalité ni de qui vous êtes. Dans ces conditions, il est fort probable que vous agiriez exactement de la même façon que l’autre…
« Je n’aime pas les gens qui jugent, mais encore moins ceux qui, en cinq minutes, donnent de moi une image qui ne m’appartient pas. Je ne suis pas une boîte à laquelle il suffit d’enlever le couvercle pour regarder à l’intérieur, je suis comme un de ces livres volumineux à la couverture douteuse que personne ne lit jamais, et qui ne sont révélés qu’à ceux qui ont la patience d’arriver à la dernière page… » (À fleur des mots)
Avant de condamner quelqu’un, tentons de rejoindre sa position, de comprendre sa carte du monde et régler son niveau d’empathie.
Mettre les gens dans des cases et appliquer des jugements préétablis est facile mais être normatif et manichéen n’apporte rien de bon. D’autant plus que les outils et solutions qui marchent pour soi ne marchent pas forcement pour l’autre (et inversement).
Comprendre cela dès le début est clé : sinon on s’expose à foncer tête baissée à exprimer de la sympathie plutôt que de l’empathie. Apporter de l’aide sans consentement ou même sans prendre le temps de comprendre l’autre fait qu’un jeu psychologique peut s’engager. Un jeu psychologique qui prendra très certainement des allures de conflit peu après avoir commencé.
Un beau triangle dramatique !
Pour la faire courte, en 1968, Stephen Karpman (adepte d’Eric Berne) a proposé une figure schématisant les “jeux psychologiques” auxquels nous jouons parfois lorsque nous interagissons avec autrui. Cette figure est plus connue sous le nom du triangle dramatique (ou triangle de Karpman).
Comment ça fonctionne ?
Ce triangle possède à chaque extrémité une fonction que vont occuper successivement les joueurs à tour de rôle. Persécuteur, Victime, Sauveur. La plupart du temps, ces rôles correspondent à des états du moi négatifs… mais là on s’égare.
Pour faire simple :
- Le persécuteur commet une agression ou formule un reproche. Dans ce rôle, le joueur confond puissance et violence, proposer et imposer.
- La victime souffre d’être persécutée par une personne ou une situation désagréable et attend d’être délivrée par le sauveteur. Dans ce rôle, le joueur confond les plaintes et les demandes.
- Enfin, le sauveteur (ou sauveur) veut combler les besoins de l’autre sans les prendre réellement en compte. Dans ce rôle, le joueur confond voler au secours et offrir son aide. On pourrait croire qu’être sauveteur est vertueux mais détrompez vous, il n’est jamais à la hauteur de la victime qui lui fera savoir tôt ou tard.
Ce qu’il faut se dire, c’est qu’à chaque fois que vous vous positionnez dans l’un de ces rôles et bien vous invitez l’autre à prendre l’un des deux autres.
Laissez moi aussi vous dire d’entrée de jeu qu’entrer dans un triangle (en d’autres termes, jouer à ces jeux psychologiques) est un scénario perdant pour tout le monde à la longue. Le principe est donc d’éviter à tout prix d’y jouer. Pour cela, il faut d’abord être capable d’en identifier un avant d’être pris dedans et ensuite d’avoir les bons outils pour l’éviter.
Eviter un conflit ?
Je ne parle pas ici de fuite mais plutôt de comment procéder pour faire face à une invitation d’entrer dans un triangle par l’autre malgré nous.
Si nous reprenons l’exemple du chapitre précédent, un déroulé pourrait être le suivant. Une de vos collègues, Margaux, se confie à vous : « Je suis vexée par ce que Jean-Pierre (Foucault) a dit. »
Margaux se place ici en victime (au sens du triangle dramatique) et vous invite à entrer dans le triangle en prenant la position du sauveur.
Si vous répondez :
- A — « Franchement ce n’était pas méchant. Je le connais, ce n’est pas ce qu’il a voulu dire. » — Alors vous intervenez en sauveur de la situation en tentant de minimiser.
Ce à quoi Margaux pourrait rétorquer : « Qu’est ce que tu en sais, tu n’étais pas là. Tu doutes de ce que je dis ? etc. » → Margaux quittant ici sa position de victime en vous signifiant que vous avez échoué dans votre rôle de sauveteur. Elle vous persécute pour cela et vous changez de position dans le triangle en répondant en victime : « Pardon, je voulais juste t’aider, etc. ». - B — « Tu es susceptible. / Tu réagis trop vivement / Prends sur toi. » — Alors vous répondez en persécuteur expliquant à Margaux la victime que sa manière de réagir n’est pas bonne.
Ce à quoi Margaux pourrait s’enfoncer encore plus en victime afin de vous faire changer de position : « J’ai des problèmes en ce moment, je suis tendue et toi tu m’accables — se met à pleurer. Je n’arrive pas à prendre sur moi, je suis fatiguée et tu ne le vois pas… ». → Là, vous pouvez vous en vouloir et pivoter en sauveteur. - A l’inverse, le cas C — « Je comprends que tu puisses être vexée. » — est de l’empathie pure et permet d’éviter d’entrer dans le triangle.
On rejoint seulement la position de l’autre sans tenter de solutionner quoi que ce soit. L’autre peut d’ailleurs dire : « J’ai le sentiment que tu partages ma frustration et mon ressenti et que tu me comprends. » → Souvent, pas besoin d’aller plus loin.
Le syndrome du super-héros
La croyance communément répandue est que l’autre attende une proposition de solution de notre part. Nous nous sentons souvent obligés socialement de cheminer avec l’autre et de l’aider dans sa recherche de solution.
Un super-héros, ça joue à l’ambulance. Un super-héros, ça veut secourir tout le monde tout le temps et à ce petit jeu, on se positionne en sauveteur et on projette l’autre dans la position de victime qu’elle convoitait au départ.
Réagir ainsi engendre la création de ce fameux triangle dramatique perdant pour tout le monde et c’est le début des emmerd** car un sauveteur n’a pas la connotation bienveillante qu’on pourrait lui porter, même si ses intentions sont bonnes au départ.
D’ailleurs, l’éventail de ses réactions est large et souvent inapproprié. Voici un cocktail (molotov) des meilleures tentatives d’aide qui mènent à un conflit certain :
- Minimiser le ressenti de l’autre ou le faire se sentir coupable d’avoir réagi ainsi plutôt que de valider son expérience émotionnelle (même si elle ne rentre pas dans notre carte du monde).
- Proposer une perspective à l’autre avec de magnifiques déclarations du style : « cela pourrait être pire / relativise / vois le côté positif », ou même une approche fataliste avec un « c’est ce que c’est / c’est la vie… »
Ne pas vouloir sauver tout le monde tout le temps…
Pour détecter une victime (au sens du triangle dramatique), c’est ultra simple. Une victime, c’est quelqu’un qui vous dit de manière (la plus souvent indirecte) : « j’ai besoin de toi pour vivre / viens-moi en aide ».
Vous pensez à quelqu’un de votre entourage ?
Et bien, être son sauveur, ça revient à dire le plus souvent : « j’infantilise la victime et la place en incapacité ».
Certaines relations (familiales, amicales, amoureuses) peuvent même être poussives dans ce sens : « Il n’y a que moi qui la comprenne. Il n’y a que moi qui puisse faire quelque chose. L’autre ne s’exprime qu’auprès de moi et qu’à travers moi… ».
Le super-héros-sauveur-ultime a souvent de bonnes raisons d’agir ainsi mais réduit par la même même occasion l’autre à l’état de victime incapable de s’exprimer et de penser par elle-même. En prenant les blocages de l’autre à sa charge, il maintient le système relationnel dysfonctionnel en état de marche et en devient ainsi le symptôme.
Le sympathique piégé
Une personne en état émotionnel négatif va souvent partir à la recherche de sympathie d’une autre personne. Ce n’est pas toujours un choix judicieux car la sympathie peut au contraire, nous l’avons vu, prolonger le stress d’un individu. En s’embarquant dans une empathie humide, le sympathique peut aussi entrer dans un état mental négatif en essayant de porter secours à l’autre (partenaire, famille, ami, collègue…). Lors d’interactions, pratiquer la sympathie à outrance peut devenir très mauvais.
Le souci, c’est qu’en se laissant véritablement abuser, même les empathiques deviennent victimes de leurs victimes. Car oui, des victimes qui s’apitoient sur leurs sorts, il y en a plein — au boulot, dans nos cercles d’amis, dans nos familles, bref, partout, et elles feront de vous leur poubelle à problèmes si vous n’y prêtez pas attention. Donc attention.
En effet, il n’est pas rare que les victimes usent de la gentillesse et de la bienveillance que vous pouvez offrir sans compter.
Par peur d’être rejeté et par besoin inconditionnel d’être aimé (un des drivers de Taïbi Kahler, autre adepte d’Eric Berne), les empathiques en oublient bien souvent leur personnalité et font passer leurs besoins après ceux des autres. Et pour peu qu’ils prennent à leur charge les problèmes et les émotions négatives de l’autre sans écouter leurs propres besoins psychologiques, les empathiques souffriront dans la durée.
Vous savez ce qu’on dit : « ceux qui donnent doivent poser des limites car ceux qui prennent n’en ont aucune. »
Quel est votre objectif ?
Jusqu’à un certain stade de développement, les enfants ont besoin d’être guidés voire qu’on prenne des décisions pour eux. Le rôle de parents est de les amener à être autonomes et à prendre leurs propres décisions de vie tout en les aiguillant bien sûr.
Mais en va-t-il de même pour les adultes passé un certain âge ?
Je pose cette question car je croise de nombreuses personnes, dites “coach”, qui n’en sont pas au final car ils rendent leurs “coachés” dépendants d’eux dans le solutionnement de leurs problèmes. Ils deviennent donc quelque part des béquilles desquelles on ne peut se défaire ni avancer sans elles. L’idée d’un coach est plutôt d’amener l’autre à utiliser ses propres ressources et à trouver ses propres solutions.
Responsabiliser l’autre et le rendre autonome est à l’opposé du sauveteur-super-héros.
« Vous ne pouvez rien enseigner à un homme ; vous ne pouvez que l’aider à le découvrir en lui-même. » Galilée
Si une personne négative vous demande d’incarner un rôle de confident alors demandez-vous : « quel résultat veux-je de cette interaction ? »
De prime abord, soit vous offrez un soutien émotionnel, soit vous offrez une solution au problème.
Offrir de la sympathie n’est pas le meilleur chemin à prendre et les outils qu’on propose à l’autre lui sont rarement utiles. Je ne suis pas l’autre et il n’est pas moi. Ce qui est bon pour moi ne l’est pas forcement pour l’autre et inversement.
A l’inverse, montrer de l’empathie (sèche) permet d’offrir un support à l’autre sans s’impliquer dans sa situation émotionnellement instable. L’empathie évite donc de rentrer dans un jeu psychologique.
Cette approche non normative peut être contre-intuitive de prime abord mais un triangle ne s’installe que si on accepte l’invitation de l’autre. La responsabilité est donc entre nos mains. Se calibrer sans émettre permet de n’être ni persécuteur, ni sauveur sympathique.
Comment se protéger
Quand l’autre nous fait part de son problème, il nous dit généralement : « Essaye de me comprendre, sois là pour me soutenir ».
« Misery loves company »
Si nous nous effondrons émotionnellement en même temps que l’autre alors nous ne serons pas très utiles ! Se décentrer en imaginant ce qui se passe en lui tout en gardant à l’esprit que nous ne sommes pas entrain de vivre son drame personnel est clé. Le meilleur service que je puisse lui rendre est de respecter sa singularité et de me soucier de l’autre en tant qu’être distinct de moi : « je ne peux réellement me mettre à la place de l’autre car cette place est unique. »
Le secret pour se protéger est donc de pratiquer l’empathie sèche et l’affirmation de soi. Poser ses limites et écouter ses besoins permet de protéger son intégrité physique, morale et personnelle et de ne pas payer le prix fort.
Penser à ses besoins avant ceux des autres n’est pas être égoïste, c’est simplement être en accord avec soi-même et sachez que vous aiderez bien plus efficacement les autres avec cette attitude de confiance en vous !
L’idée ultime est que si l’autre demande de la sympathie, alors il faut recadrer. Si la personne ne comprend pas votre cadre et vous trouve distant alors c’est qu’elle manifeste souvent un besoin d’être rejoint émotionnellement et donc l’objectif est tout autre que l’empathie sèche qui permet de rester physiquement, affectivement et cognitivement disponible pour eux.
Dans ces cas-ci, après avoir questionné l’autre et rejoint son point de vue en se centrant sur ses préoccupations et motivations, confirmez dans un premier temps que vous comprenez. Ensuite, renvoyez-le à son problème.
Proposer quand même son aide sans l’imposer
Les gens se sentent mieux et moins seuls si nous leur montrons que nous les comprenons; mais parfois la personne en face de vous a vraiment besoin d’un support (faire un câlin, pleurer sur notre épaule, etc.). L’idée de cette trilogie d’articles n’est pas non plus de vous pousser à être un robot insensible et de ne jamais intervenir.
Bien sûr que par moment nous choisissons de nous investir et d’aider l’autre mais il y a manière de faire et manière de faire. Si tel est le cas, alors faites-le avec précaution.
Certains jureront que l’autre demandait une aide implicite pour conforter leur intervention, mais rien n’est jamais trop sûr. Il est tentant d’aider sans le consentement de l’autre mais cela peut nuire aux relations.
Lorsque vous avez envie d’intervenir, demandez-vous si la personne que vous aidez vous a fait une demande (explicite), si l’effort est partagé ou si vous allez tout faire seul(e), et si vous avez bien défini la limite de cette aide.
Le mot d’ordre est : “Ne soyez pas plus client que l’autre”. Evaluer le besoin d’utilité de notre offre de solution pour l’autre est à faire à chaque instant et bien souvent nous n’avons pas besoin d’intervenir en sauveur.
Un acte empathique consiste aussi à proposer son aide sans l’imposer.
Complétez l’expression de vos sentiments et votre compréhension de la situation par une demande claire : « Souhaites-tu que je t’aide ? » et/ou « Comment puis-je t’aider ? »
Wrap-up de la trilogie
Attention spoiler…
- Pratiquez l’empathie sèche plutôt qu’humide afin de vous protéger et de rester disponible émotionnellement pour l’autre — soutien émotionnel ne veut pas dire s’embarquer émotionnellement.
- Soyez empathique plutôt que sympathique. Aider une personne ne veut pas dire tenter d’apporter une solution mais bien souvent de la rejoindre émotionnellement. Découvrir la carte du monde de l’autre par l’écoute active et rejoindre sa position est bien plus efficace que de vouloir apporter de l’aide immédiate, souvent inappropriée par manque de compréhension.
- Détectez et déjouez les triangles dramatiques afin d’éviter les conflits. Ne soyez ni sauveteur, ni persécuteur en évitant les jeux psychologiques auxquels les victimes vous invitent.
- N’apportez une aide que si elle est explicitement demandée ou sinon proposez-la sans l’imposer.
En bref, soyez un empathique non-antipathique !
Sources de la trilogie — “Des nains sur des épaules de géants” : Frans de Waal /Jean Decety / Vittorio Gallese / Vilayanur S. Ramachandran / Jean-Michel Oughourlian / Jacques Hochmann / Maxwell Maltz / Serge Tisseron / Daniel J. Siegel / Jessica Joelle Alexander & Iben Sandahl / Brené Brown / Eric Berne, Stephen Karpman, Taïbi Kahler.