L’antipathique empathique parasympathique

Quelle empathie utiliser dans vos relations ?

Comprendre et utiliser l’empathie (1/3)

Baptiste Michel
9 min readOct 4, 2020

Dans notre cerveau, nous avons tous des neurones miroirs. Ces neurones miroirs reflètent l’activité que nous observons. Lorsque nous observons quelqu’un faire un geste, notre cerveau active les même neurones que ceux que nous activons si nous réalisons ce même geste. Nos réseaux synaptiques agiraient donc de la même manière que l’on réalise un geste ou que l’on reste totalement immobile à regarder quelqu’un faire ce geste. Les neurones miroirs jouent alors un rôle clé pour apprendre plus vite par imitation.

Il n’y a pas que le geste qui est contagieux et qui permet de se projeter à la place de quelqu’un. Il en va de même pour les émotions et ces systèmes miroirs joueraient également un rôle clé dans l’empathie en permettant de saisir et de deviner ce que ressentent les gens.

Les “émotions miroirs”

L’expérience est édifiante : Un patient regarde des visages expressifs de personnes sur un moniteur tout en étant branché avec des capteurs. Un premier capteur au niveau du coin de la bouche et un 2ème au niveau du sourcil pour être capable de détecter les mouvement d’un sourire ou d’un visage froncé — en d’autres termes, pour détecter la joie ou la colère. De façon très faible et inconsciente, nos muscles et micro-expressions réagissent aux autres et traduisent des “émotions miroirs”. Pour faire très simple, lorsque j’observe de la joie chez quelqu’un, je vais contracter un sourire, tandis que si j’observe de la colère alors j’aurais une contraction musculaire au niveau du sourcil.

Mais notre cerveau ne se contente pas de simuler la mimique d’une émotion, il fait beaucoup mieux. Dans notre cerveau, les régions activées lors de l’observation d’une émotion sont identiques à celles activées lorsque nous la vivons pleinement. Nous reproduisons donc les émotions par leur seule observation chez autrui.

D’ailleurs, ces expériences marchent particulièrement bien chez les enfants. Un enfant qui mord une rondelle de citron acide verra les autres enfants qui l’observent faire la même expression de dégout que lui.

Il y a aujourd’hui débat sur le fait qu’on puisse aller jusqu’à parler d’émotion miroir, mais au niveau des aires cérébrales activées, c’est tout comme.

En effet, comme le révèle bien Maxwell Maltz (Psycho-Cybernetics) notre cerveau ne fait pas la différence entre l’imaginaire et la réalité. A la place, il agit basé sur l’information qu’on lui envoie à travers nos pensées, qu’elles soient vécues ou imaginées.

Les dernières études en neuroscience tendent à démontrer que ce système miroir de « contagion émotionnelle » existe dans notre cerveau et serait impliqué dans l’empathie. Nos neurones miroirs nous permettraient donc d’identifier les émotions d’autrui et de simuler leur état émotionnel. Pour se représenter les émotions et les états mentaux de l’autre nous allons prendre en compte de nombreux paramètres telle que ses propos, son ton de voix, son expression de visage, son langage corporel, etc. Plus nous avons une interdépendance avec quelqu’un (milieu social, âge, sexe, couleur de peau, style de vie, expérience de vie commune, etc.), plus nous nous identifions et plus nous arrivons à nous calibrer. Ces similitudes sont très souvent ressenties de manière inconsciente.

Empathie quézako ?

L’empathie peut porter de nombreuses significations mais dans la pratique, être emphatique signifie voir les choses du point de vue d’une autre personne en se projetant dans sa situation. L’empathie est cette faculté intuitive de se mettre à la place d’autrui et de percevoir ce qu’il ressent.

L’empathie est essentielle dans la communication car elle permet de comprendre, communiquer et établir des liens avec ses pairs. En comprenant mieux l’affectif et la psychologie des personnes qui nous entourent, l’empathie permet d’établir de la confiance dans nos relations et de prendre des décisions plus avisées, voire même d’anticiper certains comportements.

Pour autant, nous ne partageons pas tous la même empathie face aux mêmes situations. Pourquoi ?

Cognitive ou Affective / Sèche ou Humide ?

La notion d’empathie n’est pas une science exacte. Chacun y va de son modèle. Par exemple, Daniel J. Siegel (professeur de psychiatrie), décompose l’empathie en 5 facettes. Pour d’autres, elle peut prendre encore d’autres formes… Difficile donc de s’y retrouver dans tous ces concepts et terminologies. Faisons un peu de tri !

Pour aller un chouïa plus loin, nous pouvons différencier l’empathie affective (ressenti des émotions de l’autre) de l’empathie cognitive (compréhension des émotions de l’autre).

Comme dirait mon grand-père, « ne discutons-nous pas ici du sexe des anges ? » — c’est à dire, en d’autres termes, de sujets complexes et peu importants — une expression plus contemporaine dirait d’ailleurs de « l’enculag* de mouch* » (ai-je bien placé les astérisques ?). Mais il n’en est rien.

Cet exemple illustre bien la différence entre les deux : lorsqu’un pompier intervient sur un accident de la route grave alors il doit être capable de se concentrer sur son empathie cognitive (la compréhension de la souffrance du blessé pour faire les bons gestes) mais il doit également inhiber son empathie affective (ressentir lui-même la douleur de l’accidenté) faute de quoi, il perdra ses moyens.

L’empathie “sèche” et l’empathie “humide” sont d’autres terminologies qui rejoignent aussi ces principes. Selon Jacques Hochmann (psychiatre et psychanalyste français), l’empathie sèche désigne la compréhension de l’autre (intentions, croyances & émotions). Elle se distingue de l’empathie humide qui signifie de ressentir les émotions de l’autre.

C’est encore une fois ici toute la subtilité d’être capable de comprendre la tristesse d’un ami qui connait un décès familial sans pour autant la ressentir soi-même.

En résumé, on peut donner l’équation suivante :

  • Empathie Humide = Affective = « je ressens les émotions de l’autre ».
  • Empathie Sèche = Cognitive = « je comprends les émotions de l’autre ».

Restez maître de vos émotions

Vous pensez peut-être que les émotions viennent de l’extérieur mais il n’en est rien. Nos émotions viennent de l’intérieur.

Pour ne pas subir de contagion émotionnelle, le mieux est de savoir rester à une bonne distance : comprendre l’autre sans pour autant se laisser submerger par ses émotions !

Bien sûr que nous ne sommes pas des robots et que les émotions précèdent même notre conscience. Nous sommes tous plus ou moins sensibles et chacun s’investit émotionnellement à sa manière.

Pour autant, s’embarquer trop émotionnellement nous fait perdre nos compétences de raisonnement et de recherche de solutions.

« Si je me calibre dans la même émotion que toi alors je ne peux t’aider ».

Si mon enfant est paniqué par une situation et que je me mets aussi en panique en pleurant et criant comme lui alors je ne peux lui offrir de solution.

A l’inverse, l’empathie sèche (cognitive) est optimale car elle permet d’avoir une attitude d’écoute distancée qui permet de compatir avec les problèmes de l’autre sans se laisser contaminer par ses humeurs néfastes. C’est un bouclier de protection très utile pour ne pas vous laisser aspirer. L’empathie sèche permet donc de rester physiquement, affectivement et cognitivement disponible pour notre interlocuteur.

Des cours d’empathie à l’école ?

Peut-être avez-vous vu le discours d’une minute d’Emmanuel Macron sur le harcèlement à l’école ?

Que l’on aime ou pas Macron, ce sujet est plus que d’actualité. Le harcèlement scolaire est très présent dans notre société. Dénoncer et réagir à ce fléau est une bonne chose mais le mieux serait plutôt de le prévenir. Facile à dire ?

Au Danemark par exemple, les enfants prennent des cours d’empathie dès le CP. Ils apprennent dès leur plus jeune âge à lire, à comprendre et à écouter les émotions des autres. Grâce à des jeux d’images représentant des enfants vivant différentes émotions, comme la tristesse, la peur, la joie, la frustration, ils sont appelés à décrire les sentiments des autres avec leurs propres mots et à exprimer leurs ressentis propres. C’est aussi l’occasion d’exprimer tout cela en public et d’écouter aussi le ressenti des camarades de classe - qui peut être différent du notre.

Les exercices sont nombreux et celui qui permet de freiner drastiquement le harcèlement en couvrant la majeure partie des violences scolaires est le « Jeu des Trois Figures » (Serge Tisseron).

Ce jeu est un jeu de théâtre qui invite les enfants à jouer 3 postures à tour de rôle : l’agresseur, la victime et le « sauveteur ». Proposer aux enfants d’utiliser des scènes déjà observées à la télévision ou dans leur quotidien rend l’exercice encore plus immersif. Eprouver la posture de chaque personnage, dire ses phrases, faire ses actions… permet de changer de point de vue émotionnel.

Cet exercice aide les enfants à mettre des mots sur ces situations choquantes et à exprimer leur ressenti. Par exemple, un agresseur qui expérimente le rôle de victime pourra ainsi comprendre les sentiments du camarade agressé et donner une toute autre perspective de la situation. Mettre des mots comme “Tu me fais mal”, “Pourquoi m’attaques-tu ?”, “Je viens t’aider” permet de faire évoluer les mentalités.

Le rôle du « sauveteur » n’est pas celui du chien de berger décrit dans le film American Sniper (Clint Eastwood) : « Mes fils ! Il y a trois types de gens dans ce monde : les moutons, les loups, et les chiens de berger. »

À l’inverse du chien de berger qui confronte le loup, le sauveteur n’a pas à s’opposer à l’agresseur mais il doit plutôt prendre à témoin l’enseignant (figure d’autorité responsable) de la situation d’agression. Ce jeu permet de se mettre concrètement à la place de l’autre et donc de développer sa capacité d’empathie. De plus, en jouant les 3 postures, les enfants sortent aussi de leurs identifications figées dans lesquelles ils se sont enfermés.

Dans une société plutôt centrée sur la réussite personnelle, ce jeu est une manière de s’intéresser aux autres, en développant l’entraide et la solidarité. Les résultats de cet exercice expérimenté dans certaines écoles est sans appel : une meilleure gestion des situation collectives, une réduction des violences et des situations d’agression, un meilleur climat de confiance, etc.

L’empathie est donc une notion importante à enseigner à l’école pour que l’enfant acquiert une première sensibilité morale.

Dans les chaussures de l’autre sans prendre ses ampoules

Le meilleur service à rendre à l’autre et à vous-même est de respecter nos singularités. Imaginer ce qui se passe chez l’autre en se décentrant suffisamment pour garder à l’esprit que son vécu émotionnel n’est pas le nôtre est clé. Comprendre et soutenir l’autre ne veut pas dire de nous mettre à sa place. Gardez à l’esprit que la place de l’autre est unique en soi et que vous ne pouvez de toute manière pas complètement vous projeter.

L’empathie humide (affective) nous fait nous mettre dans l’énergie de l’autre et n’entraine pas forcement une relation fluide. L’empathie affective peut même provoquer des résistances voire des pertes d’énergie. Prendre régulièrement pour soi des émotions négatives comme la colère, la tristesse ou la frustration engendrera dans la durée des comportements dépressifs, défensifs voire agressifs.

L’empathie sèche, au contraire, permet de voir l’autre de son point de vue sans prendre ses croyances et ses blocages.

La relation à soi, aux autres et au monde est un équilibre à trouver. Trouvez le vôtre !

→ Prochaine étape (2/3) : « Ne soyez pas sympathique mais empathique. »

Sources de la trilogie — “Des nains sur des épaules de géants” : Frans de Waal /Jean Decety / Vittorio Gallese / Vilayanur S. Ramachandran / Jean-Michel Oughourlian / Jacques Hochmann / Maxwell Maltz / Serge Tisseron / Daniel J. Siegel / Jessica Joelle Alexander & Iben Sandahl / Brené Brown / Eric Berne, Stephen Karpman, Taïbi Kahler.

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