Travailler en musique, la fausse mauvaise idée ?

Baptiste Michel
10 min readAug 21, 2020

Musique. Et que chacun se mette à bosser…

Un vaste débat sur une simple question : La musique aide-t-elle notre productivité ? Et si oui, quoi écouter ?

De nombreuses vidéos youtube offrent des musiques à utiliser pendant vos sessions de travail afin de débloquer votre « super-intelligence ». Certaines apps prétendent même décupler votre superlearning… Science ou charlatanisme marketing ?

Si vous parlez autour de vous du sujet, chacun vous donnera sa préférence entre musique classique, jazz, bruit blanc ou même le son du silence (comme diraient Simon et Garfunkel). Difficile donc de s’y retrouver.

Ce qui est sûr, c’est que de nombreux scientifiques se sont penchés sur les effets de la musique sur l’apprentissage afin de démontrer si il y a une amélioration sur les performances cognitives et la productivité.

Il y a bien évidemment ce que nous pensons qui marche pour nous-mêmes et ce qui marche vraiment.

Le vrai du faux et le faux du vrai

Mozart ou Chevauchée des Walkyries de Wagner pour bosser ?

Commençons par démonter un mythe bien répandu : non, il n’y a pas d’effet Mozart sur l’apprentissage. De récentes études (tous les liens en fin d’article) et méta-analyses ont démontré qu’il n’y a pas d’amélioration des performances cognitives lorsqu’on écoute du Mozart avant un test « spatio-temporel ». En revanche, certaines études démontrent une amélioration de la productivité et de la concentration à partir du moment où la musique écoutée est appréciée. Ah tiens, mais quels types de musique ?

De nombreuses recherches prouvent que des musiques d’ambiance et/ou baroques sont parfaites pour des sessions d’apprentissage. Là encore, chacun ses préférences mais ce qui est sûr, c’est qu’à l’unanimité, certaines musiques ont été décrétées comme devant disparaitre de vos écouteurs et autres casques audio pendant vos sessions de concentration !

En effet, toute musique comprenant des paroles (dans une langue que vous comprenez) est à proscrire car cela distrait cognitivement. Etant donné que notre réflexion intérieure nécessite de manipuler le langage, notre productivité sera bien évidemment perturbée par des paroles. C’est encore pire si vous connaissez déjà les paroles car votre cerveau dédiera de la charge mentale non pas seulement à les comprendre mais aussi à les chanter dans votre tête. Cela peut être apparenté quelque part à du multitasking car cette dépense de charge cognitive dirigée vers l’écoute de paroles ne sera alors pas utilisée dans vos apprentissages. Dans ces cas là, la compréhension et la concentration baissent drastiquement.

La conclusion de toutes ces études est simple : Ecoutez de la musique tant qu’il n’y a pas de paroles et qu’elle n’est pas trop familière à vos oreilles.

Quels types de travails / tâches ?

Tous les types d’activités cérébrales ne sont pas les mêmes. Les tâches répétitives n’engageant que peu de réflexion n’ont rien à voir avec un travail de créativité ni même d’écriture d’article de blog comme celui-ci. Cela fait donc sens de dire que différents types de travails peuvent tirer bénéfices de différents types de musiques (ou d’aucune d’ailleurs). De nombreuses études démontrent que la musique distrait et parasite des tâches gourmandes en capacités de conscience verbales et linguistiques comme pour des tests de lecture et de compréhension. À l’inverse, pour des tâches répétitives et/ou ennuyantes, écouter une musique entrainante permet de rester alerte et motivé sur la tâche en cours. Si en revanche votre métier requiert de la résolution de problème, de la complexité mentale voire de la créativité, alors une musique à tempo lent et sans parole vous permettra d’éviter les distractions et le multitasking mental !

Neurosciences & Cerveau

Jackez moi tout ça !

Mais au juste, que se passe-t-il dans notre cerveau lorsque nous écoutons de la musique ?

Les neurosciences mettent en lumière aujourd’hui certains fonctionnements de notre cerveau et il est démontré que l’écoute de musique que l’on aime active le circuit de la récompense dopaminergique — pour simplexifier, c’est à dire le circuit qui implique le neurotransmetteur dopamine pour la récompense motivationnelle. La dopamine étant aussi surnommée « l’hormone du bonheur ».

Lors de l’écoute de musique, on peut observer des pics de dopamine impliquant des réponses émotionnelles fortes. D’autres études montrent que les régions de notre cerveau qui réagissent à la musique sont celles qui répondent aussi aux stimuli alimentaires, affectifs, sexuels et qui peuvent entrainer des dépendances à des substances (alcool, opioïdes) ou à des situations (jeux d’argents, etc.). En d’autres termes, écouter de la musique en travaillant revient quelque part à associer une « récompense neuro-hormonale » au fait de réaliser une tâche.

Dans ce sens, certains diront que la musique offre un petit coup de pouce motivationnel pour s’atteler à une tâche mais attention à ce qu’elle ne devienne pas non plus une béquille de manière répétée. Même si cela peut paraître être l’une des plus vielles astuces de productivité, écouter de la musique à outrance peut aussi créer une dépendance et de surcroit une impossibilité à travailler sans. Pour ma part, je suis plutôt adepte de s’accorder une récompense une fois la tâche terminée (et non pas en cours). Aussi parce que puiser sa motivation dans des ressources internes non matérielles est à mon sens une compétence à cultiver.

Sursollicitation mentale & infobésité

Notre environnement de travail est de plus en plus distrayant et surtout bruyant. Entre les chuchotements de coin de table, le collègue au téléphone, la personne à l’accueil qui gueule, la chaise renversée, l’éternuement, le toussotement, le reniflement — j’ai plus de mot en « ent » — il devient très difficile de trouver un endroit dans lequel se concentrer pleinement. Ma solution à tout cela est… roulements de tambour… mettre des écouteurs et surtout du bruit blanc apaisant pour lutter efficacement contre toute cette infobésité.

Tout d’abord, parlons des écouteurs et ensuite du bruit blanc.

Ecouteurs et barrière sociale

Pourquoi des écouteurs me direz-vous (ou pas) ?

Pour deux raisons :

  • Déjà, ils agissent comme une barrière sociale car ils freinent les personnes alentours de vous déranger lorsque qu’elles les voient. J’ai travaillé plus de 8 ans en open-space et avoir des écouteurs revient à dire aux collègues : « je ne suis pas dispo ».
  • Ensuite parce que le cerveau utilise des ressources mentales pour écouter les conversations environnantes. Avoir des écouteurs permet donc d’avoir du son dans les oreilles qui feront passer de nombreux bruits parasites en dessous des radars.

White Bruit ou Blanc Noise, ou l’inverse, ou les deux !

Les recherches scientifiques sur le bruit blanc sont moins abouties que celles sur la musique mais des conclusions intéressantes ont été faites sur cette dernière décennie.

Tout d’abord, il est démontré scientifiquement que le bruit blanc améliore la créativité, la mémoire et permet l’atteinte et la conservation d’un rythme cérébrale alpha qui est optimal pour la concentration (en l’alliant à des techniques de relaxation et de respiration telles que la cohérence cardiaque par exemple).

Ensuite, et c’est la principale chose a retenir, un bruit de fond (bruit blanc ou bruit de nature) vaut mieux qu’un silence plat ou même que la musique classique lorsqu’on parle d’apprentissage.

Mais le bruit blanc c’est quoi au juste ?

C’est très simple, c’est une radio sur une fréquence morte ou une chaine télé cryptée qui grésille. C’est aussi le bruit du vent dans les feuilles d’un arbre, de la pluie, des vagues, d’une cascade, d’un ventilateur qui tourne ou même des grillons la nuit. Bref, un bruit blanc, ce n’est surtout pas un bruit variable et avec de nombreux changements de rythmes et tonalités mais bien un bruit continu et régulier sans variation d’amplitudes dans ses oscillations.

D’ailleurs, l’équation est simple : pas de bruit = pas de concentration.

Travailler dans le silence le plus total d’un monastère n’améliore pas la concentration. C’est très contre intuitif, je sais. Déjà parce que travailler en robe de moine n’est pas très confortable (aucun rapport) et ensuite parce que c’est précisément l’oscillation plate qui met en alerte le cerveau réptilien au moindre bruit. Vous savez, c’est précisément lorsqu’un bruit anormal (tel qu’un aboiement, un téléphone qui sonne, des clés qui tombent, etc.) attire votre attention et vous sort de votre état de concentration. Il faut d’ailleurs un long moment pour y revenir pleinement. Et bien dans le silence le plus complet, le moindre bruit utilise votre charge mentale pour vous mettre en alerte tandis que d’avoir du bruit blanc dans les oreilles fera passer tous ces bruits parasites sous les radars.

Et pour ceux qui pensent que le bruit blanc dérange, sachez que l’oreille interne l’éteint au bout de quelques dizaines de secondes car il est considéré comme non dangereux et non utile, ce qui permet quelque part au cerveau reptilien de s’apaiser et d’être moins sur le qui-vive.

Le bruit blanc a aussi des avantages sur la musique classique. Sans aller jusqu’à écouter la chevauchée des walkyries de Wagner, gardez à l’esprit qu’un niveau élevé de bruit avec des variations de mélodie fait décroitre la concentration et les tâches gourmandes en « capacité de conscience ». L’idée est de trouver un état de synchronisation neurale et émotionnelle qui n’est pas stressant et le bruit blanc permet vraiment cela.

Au passage, si en plus vous êtes musicien et avez tendance à analyser inconsciemment les mélodies, le bruit blanc sera doublement bénéfique sur l’allègement de votre charge mentale.

En résumé, musique or not musique ?

Vous l’avez donc compris, les neurosciences ont avancé sur ce sujet et même si de nombreuses découvertes ont été faites, rien ne vaut votre propre expérience. Je vous encourage donc à essayer pour vous-même différents types de bruits blancs.

Chacun a des goûts différents et chacun a aussi des tâches différentes à accomplir. Lorsqu’on parle de productivité, voici mes conseils en conclusion:

  • Limitez l’usage de musique pendant vos sessions de travail ou sinon utilisez-la intentionnellement tant qu’elle n’est pas ressentie comme gênante,
  • Gardez la musique entrainante et/ou avec paroles pour les activités à tâches répétitives ne demandant pas de concentration particulière,
  • Utilisez de la musique sans paroles (instrumentale donc) à tempo lent pour du brainstorming et/ou un travail demandant l’emploi de créativité,
  • Optez pour du bruit blanc pour toutes tâches d’apprentissage requérant concentration, attention et la mobilisation de toutes vos ressources cognitives.

Quelles Apps ?

Je ne fais pas de pub et je ne suis pas sponsorisé. D’ailleurs je ne vous recommande ici que du gratuit et les 2–3 apps que j’utilise personnellement et que je recommande.

Noisli

Noisli vous permet de devenir un DJ de musique d’ambiance en mixant les sons à votre goût. Personnellement, c’est l’appli que j’utilise le plus. Des combos de 16 sons différents (pluie, orage, vent, train, feu, ventilateur, grillons, etc.) peuvent être réalisés pour se concentrer ou se relaxer. Combiné avec une application Pomodoro (intervalle de temps), c’est le duo gagnant de la productivité.

Calm

Calm est une appli qui touche à plein de sujets tels que le sommeil, la méditation et la relaxation. Il y a des histoires pour dormir, des programmes de respiration, des exercices d’étirement et des musiques relaxantes. Je l’utilise principalement pour le bruit blanc et parfois pour mes séances de cohérence cardiaque.

Rainy Mood

Un petit bonus pour une ambiance productivité pluvieuse (qui peut donner envie de faire pipi à certains) https://rainymood.com/ offre la possibilité d’écouter l’orage et d’ajouter d’autres sons par dessus. Après quelques minutes d’écoute, j’ai personnellement vraiment l’impression qu’il pleut dehors et cela met dans une ambiance studieuse. Attention, le tonnerre peut surprendre par moment.

Sources — une vingtaine d’études et d’articles — “Des nains sur des épaules de géants” :

The distracting effects of music on the cognitive test performance of creative and non-creative individuals / The influence of distracting familiar vocal music on cognitive performance of introverts and extraverts / Music — an aid to productivity / Anatomically distinct dopamine release during anticipation and experience of peak emotion to music / Intensely pleasurable responses to music correlate with activity in brain regions implicated in reward and emotion / Is Noise Always Bad? Exploring the Effects of Ambient Noise on Creative Cognition / White Noise Benefits Kids With ADHD /Listening to White Noise Improves Memory /White Noise Improves Learning by Modulating Activity in Dopaminergic Midbrain Regions and Right Superior Temporal Sulcus /Stop Noise from Ruining Your Open Office /Why Does White Noise Help People Sleep? /The Efficacy of a Brief Nature Sound Intervention on Muscle Tension, Pulse Rate, and Self-Reported Stress: Nature Contact Micro-Break in an Office or Waiting Room /Prelude or requiem for the ‘Mozart effect’? /Mozart effect–Shmozart effect: A meta-analysis /The effect of music listening on work performance /Baroque Classical Music In The Reading Room May Improve Mood And Productivity /Music — an aid to productivity /Eye movements and reading comprehension while listening to preferred and non-preferred study music /The influence of distracting familiar vocal music on cognitive performance of introverts and extraverts / Modulation of competing memory systems by distraction / Effect of Music on Reading Comprehension of Junior High School Students

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Baptiste Michel

CEO of Kontre Kourant — Brain lover & Ultra runner